Communiqué de presse
🔎 ENQUÊTE - Sommet IA : comment Paris-Saclay est devenu l'épicentre de l'IA à la française
🔎 ENQUÊTE - Sommet IA : comment Paris-Saclay est devenu l'épicentre de l'IA à la française
La France accueillera en grande pompe, les 11 et 12 février, le sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle. Chefs d'État et de gouvernements, dirigeants d'organisations internationales, d'entreprises, représentants du monde universitaire... seront réunis au Grand Palais, à l'invitation d'Emmanuel Macron, qui a voulu ce rendez-vous pour faire peser la France et l'Europe dans la bataille de l'IA.
Pourtant, c'est à une vingtaine de kilomètres au sud de Paris, loin du fastueux VIIIe arrondissement et de l'immense verrière qui a abrité l'Exposition universelle de 1900, que se tient les 6 et 7 février le volet scientifique du sommet sur l'IA. L'Institut polytechnique - qui réunit six écoles d'ingénieurs dont l'Ecole polytechnique - accueille sur le plateau de Saclay des sommités du secteur comme Yann Le Cun (Meta) ou Joshua Bengio (université de Montréal).
Ce haut lieu de la science et de la technologie est loin d'avoir été choisi au hasard, car c'est là, sur le campus de Paris-Saclay que se jouent, en partie, le passé, le présent et le futur de l'IA à la française.
L'exemple américain
« Si Saclay représente particulièrement bien l'endroit de naissance de l'IA, c'est pour pas mal de raison, et tout d'abord grâce aux talents de très haut niveau qu'il agrège », a déclaré le directeur général de l'établissement public d'aménagement de Paris Saclay, Martin Guespereau, mi-janvier, lors d'une conférence de presse. Ancien polytechnicien lui-même, le dirigeant est passé par divers postes dans la haute administration, avant de se voir confier cette mission dont le but est de « briser les tabous » du rapprochement « de l'université et des grandes écoles, de la recherche publique et de la recherche privée ».
Sur le plateau de Saclay, ce sont deux grands ensembles de l'enseignement supérieur qui cohabitent, l'université de Paris-Saclay, et l'Institut polytechnique, au milieu d'un écosystème riche de centres de recherche publics et privés, et d'autres incubateurs de start-up.
Martin Guespereau cite volontiers la Silicon Valley en exemple. Le président de l'Institut polytechnique, Thierry Coulhon, ne renie pas, lui non plus, une inspiration venue outre-Atlantique. « À Boston, il y a le MIT et Harvard. L'un et l'autre sont extrêmement forts, ont construit leur identité et il leur arrive même parfois de faire ces choses ensemble. C'est ce que nous allons faire avec l'université de Paris Saclay. » Si l'Institut Polytechnique part « plutôt de la technologie » et l'université de Paris Saclay « plutôt d'une vision académique », chacun « va vers l'autre », assure Thierry Coulhon.
L'IA, une question de cerveaux
Malgré les écarts gigantesques en termes d'investissements dans l'IA avec les États-Unis notamment, cette convergence laisse Martin Guespereau optimiste quant aux chances de la France de tirer son épingle du jeu.
« Nous sommes à une période de l'histoire assez rare. L'explosion scientifique est tellement forte que, parfois, une personne seule perce le front de la science et peut entrer en compétition avec des géants, car elle a la bonne idée. Cela faisait longtemps que ça n'était pas arrivé. Le facteur limitant n'est pas uniquement l'argent, il y a aussi la question des cerveaux », veut-il croire.
Et en ce qui concerne l'IA, toutes les composantes que compte le plateau de Saclay sont associées dans le but de faire émerger de nouveaux talents. En témoignent la création du consortium Hi! Paris, mené par HEC Paris et l'Institut Polytechnique, et celle de l'Institut DataIA, par 17 membres fondateurs dont l'université Paris Saclay, le CNRS, l'Inria, le CEA List, Centrale Supelec, l'ENS, ou encore Agroparistech... Tous deux ont été désignés lauréats de l'appel à manifestation d'intérêt « IA-Cluster ».
Arthur Mensch, « archétype de Saclay »
Autre symbole de mise en commun des ressources : le fameux master MVA (mathématiques vision et apprentissage) est considéré comme l'une des meilleures formations du monde en IA. La preuve : les géants du numérique s'arrachent les diplômés. Pilotée par le département de mathématiques de l'ENS Paris-Saclay, co-accréditée avec l'Institut Polytechniques, partagée avec l'École nationale des Ponts et Chaussées et Université Paris-Cité, cette formation a pour but de faire émerger de nouveaux cerveaux, dont Arthur Mensch, le fondateur de Mistral est un parfait exemple.
« Arthur Mensch est même l'archétype du produit de Saclay », estime Martin Guespereau. En effet, le cofondateur de la pépite de la French Tech, valorisée près de 6 milliards d'euros, est passé par l'Ecole polytechnique, le master MVA, l'Inria où il a soutenu sa thèse, et enfin par l'ENS pour un post-doctorat. Après ce parcours académique, il a rejoint Google DeepMind pour faire de la recherche en IA sur les grands modèles de langage (LLM). Tandis que les cofondateurs de Mistral, Guillaume Lample et Thimothée Lacroix - dont les parcours académiques sont comparables - ont travaillé pour Meta.
« Meta a un fonctionnement qui est de récupérer les cerveaux français pendant trois ans, car c'est la durée de déblocage des actions. C'est pour cela qu'on voit en ce moment ce genre de retour... Il y a une fuite, mais il y a aussi un retour. Mistral en est un bon exemple », commente le directeur de l'Institut DataIA, Frédéric Pascal.
Fort maillage industriel
Au-delà de l'aspect académique, le tissu industriel riche favorise les débouchés concrets aux projets menés dans les laboratoires de recherche.
Martin Guespereau se réjouit de la « croissance de l'attractivité des entreprises » sur le plateau de Saclay. En 2023, le laboratoire pharmaceutique Servier a installé un très grand centre de recherche et développement, comme d'autres géants avant lui, EDF, Thalès, ou encore Danone. « Et ce sont environ 150 start-up qui naissent chaque année sur le plateau de Saclay, et le chiffre est en constante augmentation. »
La société d'accélération du transfert de technologies de Paris Saclay accompagne la création de certaines d'entre elles. Créée il y a dix ans, la structure joue un rôle d'interface entre la recherche scientifique et le marché. Desstart-up comme Therapanacea, qui permet d'améliorer le traitement de certains cancers par la radiothérapie avec de l'IA, VitaDx qui permet la détection précoce des cancers de la vessie, ou encore Abbelight dont la technologie permet de transformer les microscopes en nanoscopes, en sont issues.
« Attention à ne pas couper l'herbe trop tôt »
Le plateau accueille également des incubateurs de start-up comme Incuballiance. La mission de cet incubateur public 100 % deeptech est de valoriser les technologies issues de la recherche publique et d'aider les chercheurs à créer des start-up. « Notre savoir-faire, c'est l'entrepreneuriat », explique sa directrice générale, Arielle Santé. « Nous accompagnons 60 nouveaux projets chaque année, dont une quarantaine en incubation pour une durée allant de 18 mois à 5 ans ».
Parmi les succès passés par Incuballiance figurent par exemple Wandercraft, start-up conceptrice d'un exosquelette assisté par IA et destiné à faire remarcher des personnes en situation de handicap. Et selon Arielle Santé, Incuballiance enregistre une forte poussée du nombre de projets portés par l'IA. « Cela représente plus de 60 % des projets candidats à l'incubation. »
Un engouement pour l'entrepreneuriat dont ne manquera pas de se féliciter Emmanuel Macron lors du Sommet, qu'il a pensé comme une vitrine du savoir-faire français en matière d'IA. Avec un point d'alerte tout de même que soulève Thierry Coulhon. « Attention à ce que dans le lien entre le monde entrepreneurial et le monde académique, l'herbe ne soit pas coupée trop tôt », souligne le président de l'Institut Polytechnique. En d'autres termes, attention à ce que les scientifiques formés sur ces sujets ne soient pas absorbés trop rapidement par le monde entrepreneurial, au détriment de la recherche, force principale de la France en matière d'intelligence artificielle.
Par Simon Prigent