Communiqué de presse
Intelligence artificielle : La France a d'incroyables talents !
Intelligence artificielle : La France a d'incroyables talents !
Alors que tout le gratin de l'intelligence artificielle est convié au Sommet de l'IA organisé à Paris ce lundi, certaines réalités sautent aux yeux. Il y a deux ans, l'irruption de ChatGPT défrayait la chronique. Une révolution née des Etats-Unis. Aujourd'hui, c'est DeepSeek qui attire l'attention. Un bébé chinois. A quand notre tour ? La France regorge de talents. Encore faut-il les capter. Et les garder… C'est un des objectifs de l'Elysée : « un très grand nombre de ces chercheurs français, mais qui travaillent à l'étranger, sont invités au sommet pour voir aussi la richesse de l'écosystème et potentiellement, un jour, rester ou revenir ». L'enjeu est de taille. Se doter d'une véritable filière IA permettrait à la France de se placer dans un marché qui se chiffre en centaines de milliards de dollars.
Mais le cliché d'un inévitable retard français et européen a la peau dure. Ce qui exaspère le monde savant. « Parfois, j'ai l'impression de vivre éternellement la journée de la marmotte. Depuis des années, on entend que la France décroche, que l'Europe décroche. Et bien non ! La bataille des talents, il faut la mener. On est capables de la gagner ! », défend énergiquement Bruno Sportisse, directeur général de l'Inria, l'Institut national de recherche en informatique et en automatique qui coordonne le volet « enseignement supérieur et recherche » de la stratégie nationale en IA lancée en 2017.
Matière grise. C'est vrai, la France se défend bien. « En matière de concepteurs de modèles d'IA, notre école de mathématiques d'élite tourne encore. Parmi les 1 000 plus grands contributeurs à l'écosystème open source, la France est numéro deux mondial. Elle est cinquième en matière de nombre de spécialistes de l'IA », rappelle Sylvain Duranton, directeur monde du BCG X, l'entité tech du cabinet de conseil en stratégie.
Les géants de la tech américaine ne s'y trompent pas et misent sur la matière grise française. Google, Meta, OpenAI, mais aussi Microsoft, Sam- lll Pages 2 à 4 lll Suite de la page 1 sung ou encore IBM ont ouvert des centres de recherche à Paris. « La France possède des atouts considérables dans le domaine scientifique, avec ses 500 000 chercheurs et des institutions de premier plan tels que le CNRS, Inria, Paris Saclay, l'Institut Curie, ou encore l'Université PSL », justifiait Google l'an dernier alors qu'il inaugurait son nouveau centre de recherche en IA dans la capitale.
La situation française a bien évolué depuis l'état des lieux dressé en 2018 par le rapport Villani. A l'époque, l'Hexagone comptait 5 300 chercheurs, 18 diplômes de master spécialisés en IA, 270 startups. Depuis, « la filière s'est beaucoup structurée, constate Vincent Luciani, polytechnicien et fondateur d'Artefact, une entreprise française de conseil en IA existant depuis plus de dix ans. Avant, il n'y avait qu'une poignée de masters critiques. Aujourd'hui, il y en a des centaines, beaucoup sont interdisciplinaires et de très haut niveau. La pénurie de talents est bien moins importante aujourd'hui ». La France est le troisième pays au monde en nombre de chercheurs spécialisés dans l'IA. Elle compte plus de 700 start-up et plus de 40 000 étudiants et professionnels formés à l'IA chaque année.
S'il y a du mieux, la dynamique reste « insuffisante », tranche la Commission de l'intelligence artificielle dans son dernier rapport datant de mars 2024. Alors que l'objectif est de passer à 100 000 étudiants et professionnels formés à l'IA par an, la guerre mondiale des talents est rude et la tentation d'aller voir ailleurs est grande. Surtout aux Etats-Unis.
S'amuser. « Une fois diplômés, je dirais que nous gardons les deux tiers des talents formés en France et en Europe, mais il est difficile d'avoir un chiffre précis. Et puis généralement, ils ne partent pas dans les premières années qui suivent leur obtention de diplôme, mais au bout de quatre ou cinq ans », explique Sarah Cohen- Boulakia, directrice formation de l'Institut Data IA de l'Université Paris-Saclay, un des joyaux des études supérieures dans l'IA en France.
Les salaires proposés aux Etats-Unis sont particulièrement alléchants. « Des demandes de salaires de 250 000 dollars pour des jeunes diplômés sortis d'école, c'est intouchable ! », témoigne Vincent Luciani. L'entrepreneur, optimiste, y voit cependant une opportunité : « Jouer dans le terrain des chercheurs américains est difficile pour nous, mais c'est aussi une menace pour les Etats-Unis, qui s'auto-enferment dans une boucle où ils sont obligés de faire des énormes levées de fonds et dépenser beaucoup d'argent pour le moindre recrutement… En France, le coût du cerveau est un peu moins élevé ». De plus, à en croire Alice Albizzati, partner au sein du fonds de capital-risque Revaia, qui a récemment coécrit un rapport sur l'IA en France, il y a encore matière à s'améliorer : « Les dispositifs de rémunération, comme les BSPCE et les stock-options, peuvent encore être simplifiés pour être plus attractifs ». Au-delà de la rémunération, les professionnels du secteur savent que d'autres arguments peuvent convaincre les génies français de rester – ou de revenir. « L'attractivité n'est pas qu'une question d'argent, ce n'est qu'un argument parmi d'autres pour ces profils qui sont chassés de toutes parts. Les talents veulent s'amuser, innover, apprendre, créer ! », avance Benoit Serre, vice-président délégué de l'Association nationale des DRH. Pour attirer, la France peut capitaliser sur la liberté d'initiative, les bourses prestigieuses, le cadre de vie. « L'esprit européen fait aussi rêver », ajoute Isabelle Ryl, directrice de PRAIRIE, l'un des neuf clusters IA français, labellisés par le gouvernement.
Avec ces atouts, la France capte des talents étrangers. Ainsi, l'Inria se targue d'avoir récemment attiré dans ses filets Michael Jordan, star de Berkeley et spécialiste de l'IA appliquée à l'étude des marchés, ou encore Claire Monteleoni, experte dans l'usage de l'IA pour faire des projections climatiques, précédemment basée dans le Colorado. Sur les 200 scientifiques à temps plein embauchés par l'institut depuis 2020, 40 % sont étrangers. « Cela montre bien que nous sommes attractifs ! », martèle son directeur.
C'est encourageant, même si c'est encore loin de rivaliser avec les Etats-Unis : « La part des ingénieurs étrangers en Ile-de-France est estimée à moins de 10 %. Elle est de 68 % dans la Silicon Valley », écrit la Commission IA. La France propose bien un visa long séjour et le « French Tech visa », mais elle vit toujours avec ses démons. A commencer par l'administration. Sarah Cohen-Boulakia connaît le cas de figure où « des étudiants étrangers ont un visa mais ont du mal avec la préfecture ou doivent repartir au milieu de l'année pour régler des démarches administratives… ». Les universités américaines, elles, chouchoutent les nouveaux arrivants. Une proactivité qui laisse à désirer en France.
Ensuite, il y a la question des débouchés économiques. « La recherche fondamentale est excellente, reconnaît Maya Noël, à la tête de France Digitale, porte-voix des start-up françaises. Mais là où on a le plus de mal, c'est sortir de ces labos pour en faire du business ». Un autre « mal endémique » français déjà souligné en 2018 par le mathématicien et député Cédric Villani. Là encore, il y a des progrès. « L'image du chercheur dans sa tour d'ivoire qui ne veut pas parler aux entreprises, ça n'existe plus ! La mentalité dans le monde académique a beaucoup évolué. De plus, la législation s'est assouplie. La loi Pacte permet plus de perméabilité entre les deux mondes », explique Isabelle Ryl.
Reste ensuite l'éternel plafond de verre des capitaux, qui limite la force de frappe des aventures entrepreneuriales qui éclosent. « C'est notre faille : arrivés à une certaine croissance, nous n'avons plus les poches assez profondes. Nous avons besoin d'une épargne européenne fléchée vers des projets innovants, ou encore d'une véritable préférence européenne à l'achat », prône Maya Noël. Tout un programme.
Par Sarah Spitz