Communiqué de presse
📰 REPORTAGE - À Paris-Saclay, la recette de la France pour faire naître des champions de l'IA
📰 REPORTAGE - À Paris-Saclay, la recette de la France pour faire naître des champions de l'IA
Les ventilateurs vrombissent sans interruption, le thermomètre dépasse 25 °C, alors qu'il atteint péniblement les 5 °C au-dehors, en plein mois de janvier sur le plateau de Saclay. Dans cette salle de la taille d'un terrain de tennis, le supercalculateur Jean-Zay ne dort presque jamais. Le plus gros ordinateur de France fonctionne sept jours sur sept, jour et nuit, excepté lors de courts épisodes de maintenance.
Un jeune ingénieur est occupé à visser les dernières plaques qui recouvrent ce monstre de métal et de fils électriques, dont la nouvelle partie, la plus puissante, vient d'être achevée grâce à un investissement de 50 millions d'euros issu du plan France 2030. Une enveloppe qui a en grande partie servi à acheter des processeurs GPU H100 de Nvidia, un composant très onéreux, central pour le développement de l'intelligence artificielle (IA).
« En quelques années, nous sommes passés de 100 % de projets dédiés au calcul haute performance à seulement 40 %. Actuellement, la majorité des usages de Jean Zay sont consacrés à l'IA », explique Pierre-François Lavallée, ingénieur de recherche et directeur de l'Institut du développement et des ressources en informatique scientifique (Idris), filiale du CNRS, qui gère le supercalculateur.
Et pour cause, l'avènement de l'IA générative après la sortie de ChatGPT fin 2022 a précipité la course à l'innovation dans ce domaine. Les chercheurs et start-up en IA ont depuis multiplié les demandes pour utiliser les capacités de Jean-Zay afin de développer leurs propres algorithmes. Un marathon qui se déroule notamment à Paris-Saclay, cette bande de terres humides au sud-ouest de Paris devenue en quinze ans le plus grand pôle de recherche scientifique d'Europe.
Des formations dédiées à l'IA
Lancé en 2010 sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy dans le cadre du projet Grand Paris, Paris-Saclay regroupe aujourd'hui plus de 60.000 étudiants et chercheurs entre l'Université* proprement dite et l'Institut polytechnique de Paris*, chacun d'un côté de la départementale N118 qui traverse le nord de l'Essonne.
Le tout sera relié par la ligne 18 du métro dès 2026. « Nous serons désormais entre le TGV à Massy, l'aéroport à Orly, à vingt minutes des tours de La Défense, à quelques minutes de Versailles où habiteront les cadres du plateau », résume Martin Guespereau, directeur de l'établissement public d'aménagement Paris-Saclay.
L'X accueille ces 6 et 7 février les journées scientifiques de l'IA, partie intégrante du Sommet pour l'action sur l'IA qui se tient à Paris sous l'égide de l'Elysée. Yann Le Cun, de Meta, le chercheur Michael Jordan, Yoshua Bengio… « Nous n'avons eu aucun mal à attirer les plus grands pontes du monde, affirme Thierry Coulhon, directeur de l'IP Paris. C'est la preuve que le paysage français et francilien s'est structuré et que l'on commence à en récolter les fruits. »
Paris-Saclay multiplie les formations entièrement dédiées à l'IA : l'Institut Dataia, qui regroupe 800 chercheurs, le centre interdisciplinaire Hi ! Paris ou encore le master MVA (mathématiques, vision, apprentissage) de l'ENS et Centrale, et X-HEC data et IA. Les champions américains de la tech n'hésitent pas à sortir le carnet de chèques pour recruter ces profils. « Avant même de sortir de master, nous sommes nombreux à avoir des propositions vraiment alléchantes outre-Atlantique », confie un étudiant du master MVA.
« Comme Harvard et le MIT »
L'Université Paris-Saclay et IP Paris viennent par ailleurs d'être tous deux labellisés « IA cluster » dans le cadre du plan national sur l'intelligence artificielle, lancé par Emmanuel Macron en 2017. Avec néanmoins de grandes disparités : le côté universitaire a hérité de 20 millions d'euros de dotation, quand le côté IP Paris a touché le gros lot, 70 millions d'euros. Des enveloppes dédiées à la formation des talents Français, mais pas que. « 40 % de nos chercheurs sont étrangers », précise Bruno Sportisse, directeur de
l'Inria, très implanté sur le plateau.
« La dualité entre nos deux organismes, c'est un peu comme Harvard et le MIT », compare non sans fierté Thierry Coulhon. Et pour cause, l'Université Paris-Saclay espère clairement gagner encore quelques places dans le prestigieux classement de Shanghai, où elle s'est hissée au 12e rang en 2024. « La présence d'une douzaine de prix Nobel et médailles Fields aide clairement », se réjouit Martin Guespereau.
Plusieurs grands groupes se sont installés au plus près des écoles pour dénicher leurs futures recrues. Thales, EDF, Total, IBM… Mais l'enjeu est aussi de faire émerger des start-up capables d'incarner les futurs champions de l'IA. Mistral, cofondé par Arthur Mensch, est revendiqué comme un « pur produit Paris-Saclay ». Mais pour multiplier le phénomène, il faut plus. « On a eu un milliard pour Paris-Saclay, salue le directeur de l'EPA. Il nous manque le milliard pour assurer la suite. »
* Université Paris-Saclay : Saclay, Saint-Quentin-en-Yvelines, Sceaux, Orsay, Polytech Paris-Saclay, CentraleSupélec, AgroParisTech, Ecole normale supérieure Paris-Saclay, Institut d'optique Graduate School
* IP Paris : Ecole polytechnique, ENSTA, ENSAE, Ecole nationale des ponts et chaussées, Télécom Paris, Télécom SudParis
Par Joséphine Boone